NE PAS JUGER TOUT UN ART
En mathématique, l’intégration est l’opération qui inverse celle de la différentiation. En appliquant ce principe à la formule « un monde, une humanité », intégrer les autres équivaudrait à renoncer à la différenciation. Mais comment éviter de nous différencier des autres ?
Or juger une personne n’est-elle pas l’opération de différenciation par excellence ? Juger nous sépare instantanément de l’autre. Dix minutes de conversation avec un inconnu et nous en avons fait le tour ! Consciemment ou inconsciemment, nous l’avons étiqueté, classé, objectivé. Comment s’accomplit cette différenciation, cette mise à l’écart de l’autre – et donc de nous-même ? S’arrête-t-elle au jugement que nous portons sur l’autre ? Voyons le processus dans lequel juger nous entraîne.
Notre jugement n’est jamais absolu, il est comparatif. Le jugement « ce type est intelligent » n’a de sens que dans un cadre de comparaison, c’est-à-dire si l’autre est plus, ou bien moins intelligent que moi ou une personne de référence. Notre principal motif de juger les autres est sans doute de déterminer où nous nous situons par rapport à eux. Ensuite, sur la base de cette évaluation, nous agissons – ou plutôt réagissons. Soit en nous désintéressant de l’autre, dans le cas où nous nous sentons supérieur ; soit en tâchant de l’impressionner si nous le percevons supérieur. C’est en général notre façon de réagir avec, au coeur de notre jugement, le désir latent, constant, de nous placer au-dessus de celui que nous jugeons. Alors pourquoi nous arrêter de juger ? L’impression d’être supérieur est bel et bien une réalité dans notre univers intérieur, une réalité qui nous rend plus fort, quand bien même elle renforce principalement notre ego. Car c’est l’ego qui juge, et qui prend plaisir à le faire. Comment le convaincre de cesser ?
En lui montrant peut-être qu’il n’y a aucun mérite à juger l’autre, car cette évaluation de nous-même par la différentiation est en fait une constante illusion. On peut se croire un bon joueur de football jusqu’à ce qu’on se mesure à Ronaldo ! On peut imaginer avoir réussi et se croire supérieur aux autres, grâce à la fortune qu’on a amassée – tant qu’on ne se compare pas à Bill Gates.
Notre principal motif de juger les autres
est sans doute de déterminer
où nous nous situons par rapport à eux.
Quelle que soit la base de comparaison, richesse, beauté, intelligence, esprit, quelqu’un en aura de toute façon plus que nous. Tout naturellement nous nous tournons alors vers ceux qui sont « moins que nous » – content d’être le roi d’un petit territoire… Et c’est là que réside le danger.
Quand nous sommes perdants dans la comparaison avec l’autre, nous nous sentons automatiquement inférieurs. Ce sentiment d’infériorité nous fait devenir agressif ou défensif, tyran ou victime, triste ou hilare. Et ces oscillations génèrent le poison le plus pernicieux pour notre esprit : la dualité. Avec le temps et l’habitude, nos préjugés et notre tendance à juger se renforcent. Comme un ressort ou un jouet à remontoir, notre mental se met en mode « jugement » et fonctionne de lui-même. Tant de fois nous nous surprenons à juger sans aucune intention de le faire. Nous avons perdu le contrôle. Nous voilà coincés dans la dualité.
Quel tort nous cause cette vie dans la dualité ? Le problème est que la dualité nous sépare de la réalité, et seule la réalité peut percevoir la réalité. Nous ne pouvons atteindre l’intégration humaine que si chacun de nous est capable de percevoir la réalité de l’autre. Et comment la percevoir si nous sommes prisonniers de nos préjugés, si nous restons dans la dualité ?
Comment atteindre alors l’intégration humaine ? Cessons de juger ! Et comment sortir de la spirale infernale du jugement ? En dirigeant notre mental vers quelque chose qui n’est pas conditionné par le temps. Car nos jugements prennent racine dans nos expériences passées – les nôtres ou celles de ceux qui nous ont donné l’occasion d’apprendre.
Or la seule partie en nous qui échappe au temps est le coeur. C’est donc là que notre attention mérite d’être portée. Mais le coeur est avant tout le lieu qui échappe à la dualité : quoi qu’il exprime, la joie, la douceur, le courage, l’amour, quel que soit le message qu’il nous transmette, tout en lui est clair, direct, authentique. Seul le coeur nous sort de la dualité et de ses affres en nous faisant entrer de plein pied dans la réalité. C’est donc lui qui nous ouvre à la réalité de l’autre. Suivons ses instructions, ses incitations. Le coeur a toujours raison.
Nous ne pouvons atteindre l’intégration humaine
que si chacun de nous est capable de percevoir la réalité de l’autre.
Et comment la percevoir si nous restons prisonniers de nos préjugés,
prisonniers de la dualité ?
source http://www.heartfulness-magazine.fr/