C’est un homme simple. Pour rentrer dans son jardin, il met un vieux pantalon de toile, une chemise qui ne craint rien. Ses mains sont sèches et carrées. Son visage hâlé, ses cheveux libres. L’été il porte un chapeau. L’hiver sa chemise est en laine. Il avance d’un pas tranquille. Il n’est pas pressé. Il a tout son temps. Il regarde, il ressent. Il le parcours des yeux et le perçoit dans son ensemble. Dehors et dedans. Il l’accueille, il le prend dans son regard.
C’est une vision totale qui l’atteint dans son cœur, comme un choc. A chaque fois, son cœur tressaille pour son jardin et il le remercie et rend grâce à Dieu de lui donner une telle joie. Joie de le contempler et de faire partie de lui.
Comme il s’avance dans le jardin, il comprend que chaque plante, chaque morceau de terre est vivant et chacun se relie aux autres par des fils invisibles, semblables aux fils de lumière que font les araignées sous les rayons du soir, dans l’herbe après la pluie.
Il capte des vibrations toutes différentes selon la nature interne de chaque chose, qui entre elles, chantent ensemble. Un bruissement organisé et balancé par le vent ondule dans l’air, en volutes. Tout est sexuel, sexué et même désirant. Dans l’air flottent les messages olfactifs de chaque parcelle de vie. Tout palpite, vibre, se déplie, se déploie et pousse, creuse ou s’élance, lutte inexorablement dans un même et bel élan. Tout se mélange, se divise, se transforme.
Il voit alors les bienfaits des rayons du soleil sur la chlorophylle, de l’eau abreuvant les racines, aspirée par les cellules. Il y a une connivence, une harmonie entre chacune de ces cellules. Et regardant ce spectacle, il sait à cet instant précis qu’il est solidaire de chaque être vivant.
Lorsqu’il s’approche encore il découvre qu’aucun des insectes, parasites, vers, oiseaux et rongeurs, aucune plante ne sont placés là par hasard. Il comprend que personne ne prend la place de personne car TOUT est à sa place, utile à la manifestation même de la vie et à la gloire de son Créateur. L’intelligence ainsi manifestée, jubile, exulte et libère une énergie fabuleuse. Une joie. Et aussi un ordre. Mais un ordre sans hiérarchie véritable, un ordre qui nous lie les uns aux autres par un destin commun : celui de servir. Sans aucune autre destination que celle de servir la beauté et la bonté du monde.
Source: Rose Fourcaut – Paris, 1995